SAINTE MARTYRE SOLANGE, VIERGE (+ 880)
De vieilles chroniques l'appellent Solange ou Soulange; son lieu natal n'existe plus; on voit au milieu du Pré-Verdier les ruines d'une maison qu'habitait, dit-on, Sainte Solange. Cette prairie est à une demi-lieue du bourg appelé du nom de la Sainte depuis sa naissance céleste, et auparavant Saint-Martin du Cros.
Festa venerunt annua
Quibus virgo perinclyta
Honoratur Solangia
Alleluia
A Sainte Solange
Offrons en ce jour
Un chant de louange,
Un tribut d'amour.
Ancienne prose en l'honneur de sainte Solange,
qu'on chante encore aujourd'hui sur l'air de "O Filii et Filiae".
La très illustre Vierge Solange est la protectrice, et, pour ainsi dire, la Sainte Geneviève du Berry. Elle naquit au bourg de Villemont, à deux ou trois lieues de la ville de Bourges. Son père était un pauvre vigneron qui menait une vie très chrétienne; Dieu récompensa sa piété en bénissant son mariage. Il eut une fille qui fut nommée Solange. Chez cette admirable enfant, la beauté du corps et celle de l'âme se rehaussaient réciproquement, de sorte qu'elle faisait les délices de Dieu et des hommes. Son père lui inspira, dès ses plus tendres années, une grande haine pour le péché, et elle conçut un amour si tendre pour son Dieu, qu'elle avait de l'horreur pour les plus petites fautes qui pouvaient blesser les yeux de la divine Majesté. Elle avait tant d'estime et de respect pour les leçons salutaires qu'elle recevait de ses parents, qu'elle les préférait à tous les vains discours et à tous les jeux qui font ordinairement le plaisir et la joie des enfants de son âge.
Cette éducation si sainte, cette docilité à y correspondre disposèrent le coeur de la jeune Solange à recevoir les célestes communications : elle commença, dès l'âge de sept ans, à se sentir brûler des flammes du plus pur amour. Elle avait un attrait particulier pour tout ce qui avait rapport à la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle ne se lassait point de bénir son Saint Nom et de le prononcer partout avec un sentiment de piété qui faisait connaître qu'elle l'avait profondément imprimé dans le secret de son coeur. Ces transports du céleste amour ne lui permirent pas d'attendre plus longtemps pour choisir son parti; et, comme elle avait déjà méprisé le monde avant même d'en connaître les faux attraits, elle n'hésita pas à prendre pour son unique époux, Jésus Christ qu'elle aimait si ardemment : elle lui promit de bon coeur de garder une virginité perpétuelle. Il est vrai qu'elle avait toujours vécu dans une grande innocence, mais elle ne se fiait pas, pour cela, à ses propres forces; il n'y avait point de jour, ni de nuit qu'elle ne pria Dieu de Se la réserver. Elle se plaisait à répéter souvent ces belles paroles de la Vierge Sainte Agnès : "J'aime Jésus Christ qui a eu une Vierge pour mère; j'aime Jésus, puisqu'en l'aimant je demeure chaste, en le touchant je demeure pure, et en l'embrassant je demeure Vierge."
Cette chaste colombe sortait souvent du lieu de sa demeure ordinaire, donc du bourg de Villemont, pour aller gémir plus librement et à loisir dans un lieu solitaire et écarté, qu'on appelle encore aujourd'hui, pour cela, le "champs de Sainte Solange". On a élevé depuis, au milieu de ce champ, une croix de bois, qu'il faut souvent renouveler, car les pèlerins en coupent de petits morceaux qu'ils emportent par dévotion. Son père l'avait chargée de la garde d'un petit troupeau : aucune occupation ne convenait mieux aux goûts de Solange; tout en veillant sur ses moutons, elle pouvait contempler son céleste Epoux, Qui invite les âmes à venir Le trouver dans la solitude; elle aimait surtout à se Le figurer, mourant pour elle sur la croix, ressuscitant pour elle, pour lui ouvrir le Ciel. Elle se consacrait, disant qu'elle était prête à l'imiter, à souffrir les plus horribles tourments pour son amour. Nous verrons ses voeux exaucés. En attendant, Jésus-Christ, qui ne se laisse jamais vaincre en générosité, combla Solange de ses faveurs de sorte que, comme une autre Geneviève, elle se rendit, très-utile à toutes les populations voisines. Cette jeune bergère sut, comme Geneviève, faire la guerre aux démons, les chasser des lieux dont ils s'étaient emparés, arrêter et dissiper les vents et les tempêtes qui nuisaient aux pays d'alentour. La seule présence de cette chaste vierge faisait sortir les esprits impurs des corps des possédés. Il suffisait aux malades d'avoir le bonheur d'être aperçus dans les chemins par la Sainte, et d'en attendre du secours pour se trouver guéris de leurs infirmités. Ce don de faire si facilement des miracles, qui a été le privilège des plus grands Saints, lui a été communiqué abondamment. Son histoire assure qu'elle arrêtait et faisait disparaître par un seul acte de sa volonté, les animaux qui gâtaient et détruisaient les fruits qui étaient sur la terre ; et que, s'il arrivait que quelqu'une de ses brebis s'écartât et se jetât dans les prairies voisines qui n'étaient pas de son ressort, elle ne se servait ni de chien ni de bâton pour la faire revenir : il lui suffisait d'élever son coeur vers son Epoux céleste, et de désavouer intérieurement le dégât que pouvaient causer ces animaux : ils revenaient aussitôt rejoindre le troupeau avec une docilité qui jetait dans l'admiration ceux qui en étaient les témoins.
Voici un autre prodige, qui indique de quelles lumières Dieu éclairait son âme. Si l'on en croit les leçons de l'Office que l'Eglise lui a consacré, il paraissait le jour et la nuit, au-dessus de sa tête, une étoile qui la conduisait en ses démarches, et qui lui servait de règle en tout ce qu'elle devait faire; cette étoile lui servait spécialement de guide et d'avertissement, lorsque le temps qu'elle avait destiné à l'oraison ou à la psalmodie s'approchait; comme si cette lumière, qui invitait autrefois les Saints rois Mages à aller reconnaître et adorer Jésus-Christ, eût été reproduite pour favoriser cette Sainte épouse du même Sauveur, et lui indiquer les précieux moments auxquels le divin Epoux demandait ses adorations.
La sainteté de la jeune bergère, ses vertus, sa beauté, la rendirent célèbre. Cette renommée inspira un vif désir de la voir, à Bernard de la Gothie, fils de Bernard, comte de Poitiers, de Bourges et d'Auvergne. Il monte à cheval, et, sous prétexte d'aller à la chasse, il se rend sur les terres de Villemont où Solange gardait son troupeau. A peine l'a-t-il vue, qu'une passion violente s'empare de son coeur (Ut vidit, ut periit). Il descend aussitôt de cheval, aborde la jeune Vierge; et ayant soin de ne laisser échapper aucune parole qui puisse alarmer son innocence, il lui offre de devenir son épouse. "Par ce mariage", lui dit-il, "vous serez princesse du vaste pays où je règne, vous ferez le bonheur de vos parents aussi bien que le vôtre."
Solange lui répond que, dès l'âge le plus tendre, elle appartient à Dieu, qu'elle lui a voué son coeur, qu'ainsi elle ne peut plus en disposer en faveur d'aucun homme. Ce refus ne fait qu'irriter le désir du jeune prince; il résolut d'obtenir par la force ce qu'on refuse à ses prières, à ses promesses. N'écoutant donc que sa passion, il s'élance pour saisir Solange : elle lui échappe, elle fuit. Il la poursuit, l'atteint, l'enlève, la met devant lui sur son cheval et l'emporte, faisant, pendant le chemin, de nouveaux efforts pour triompher de ses refus. Mais Solange, fortifiée par la grâce, et préférant la mort à renoncer à son voeu envers Dieu, s'arrache tout à coup des bras de son ravisseur et se jette à terre, auprès d'un petit ruisseau qui coulait en cet endroit. L'amour méprisé se change vite en haine, surtout chez les personnes violentes et brutales. Bernard, plein de honte et de fureur de se voir dédaigné, vaincu par une bergère, se précipite sur elle, l'épée à la main, et lui tranche la tête.
Cette chaste et fidèle épouse était trop chère au Sauveur pour qu'il ne marquât pas sur l'heure, et par quelque signe miraculeux, combien ce sacrifice Lui avait été agréable. Solange donc, qui avait courageusement reçu le coup de la mort, étant debout, ne perdit point cette position, quoique sa tête fût séparée de son corps; mais, comme si elle eût reçu une nouvelle vie par son don via le martyre elle ouvrit paisiblement ses mains pour recevoir sa belle tête; sa bouche prononça encore par trois fois le Saint Nom de Jésus, qui lui avait été si familier pendant sa vie. Elle alla ainsi jusqu'à Saint-Martin-du-Cros; elle fut ensevelie dans le cimetière de cette église, à l'endroit où, en 1281, les papistes élevèrent en son honneur un petit monument en forme d'autel.